Depuis quelques temps, Josh avait emménagé dans une villa avec sa jumelle. Comme dans toutes choses qui se respectent, il y a les bons et les mauvais côtés. Les disputes, les situations sans queues ni têtes, et les moments où ils se prenaient la tête faisaient bien évidemment partie du désagréable, quoique… Ils aimaient bien se chamailler dans le fond. Le bon côté était qu’il pouvait veiller sur elle, sans faire semblant de trouver un prétexte pour venir la voir. Puis, ils passaient plein de bons moments ensemble. Mais bon, entre eux, bon moments rimaient souvent avec leurs jeux fraternels incessants.

La veille, le jeune homme était rentré exténuer de sa journée à l’université. Depuis qu’il avait obtenu ce poste d’assistant de prof pour gagner un peu d’argent pour les faire vivre convenablement Lou et lui, il était assez fatigué. La jeune femme avait encore parlé la moitié de la nuit et même s’il ne s’en était pas mêlé, il avait eu du mal à s’endormir et ça l’avait contrarié. Et quand Josh est contrarié, il a envie de rendre la monnaie de sa pièce à autrui, sa sœur ne faisant pas exception. Ce matin, il s’était levé, avait attendu qu’elle soit bien endormie et mit la tv sur un volume de son indécent pour une personne en plein sommeil. Evidemment, la jeune femme ne tarda pas à se manifester dans le salon, des chaussons aux pieds, les cheveux en pagaille, la voix du matin un peu rauque. Elle exprima son mécontentement, surtout lorsque son frère ne réagit pas. Josh sourit. Même s’il savait que sa sœur luttait de toutes ses forces pour ne pas réagir, quand on la sortait de son sommeil, elle explosait. Alors qu’il ne la regardait toujours pas, elle se planta devant lui, éteignit la télé et maugréa quelques jurons.

Je te retourne la question, dit-il les yeux brillants d’un ton sarcastique. Le connais-tu, toi qui piapiates à voix haute au téléphone jusqu’à la moitié de la nuit ? De toute façon, c’est connu. Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt…

Il eut un petit sourire ironique, prit la télécommande et ralluma la télé, osant même augmenter le volume. En fait, il se fichait bien de ce qui se passait sur le petit écran. Il avait juste envie de l’ennuyer.

HJ: J'ai adoré ton début

Voir Lou s’agiter en posant les mains sur ses hanches renvoya soudainement Josh à un souvenir d’enfance, lorsqu’ils devaient avoir une dizaine d’années Lou et lui, et que leur mère vivait toujours. Un jour comme il arrivait souvent aux jumeaux de se chamailler pour des broutilles, ils étaient sortis de leurs chambres respectives tôt le matin et s’étaient amusés à se pourchasser dans toute la maison en criant et chahutant pour se rattraper. Leur mère, toujours endormie, avait alors déboulé du haut de l’escalier, assez mécontente que ses enfants soient si indisciplinés. Elle les avait alors réprimandés gentiment, sachant très bien qu’ils seraient toujours ainsi entre eux… Puis, ils avaient tous ris, et ils n’étaient pas allés en cours, restant avec leurs mère et passant ainsi une des meilleures matinées de leur enfance avec elle, peu avant qu’elle ne décède… Le jeune homme chassa alors ses pensées ; il n’avait pas pour habitude de ressasser le passé ou d’être nostalgique, mais Gosh ! Il fallait bien avouer que Lou ressemblait beaucoup à leur mère à ce moment précis.

Aussi râleuse et têtue que pouvait parfois être sa sœur, Josh ne se voyait tout de même pas vivre sans elle. Depuis tous petits, ils étaient inséparables et depuis toujours ils se taquinaient mutuellement. C’en était devenu une habitude tellement ancrée que le jour où ils arrêteraient, quelque chose n’irait plus. C’était déjà arrivé une fois, quand Lou était dans une très mauvaise période, à un tel point qu’elle reconnaissait à peine qui elle était et qu’elle continuait à peine à vivre sa vie. Cette phase-là avait aussi été difficile pour Josh qui sans l’avouer vraiment s’était inquiété de ne jamais retrouver sa sœur, sa véritable sœur. Celle qui lui prenait la tête pour des bêtises, celle qui le contrariait juste pour avoir son attention… Et elle l’avait, au prix d’être à son tour enragée quand il l’ennuyait, mais elle l’avait. Quand elle était revenue de ce centre de cure quelques semaines plus tôt, et qu’elle avait ré-emménager chez lui –chez eux-, il avait été très heureux de constater qu’elle était à nouveau elle-même –plus ou moins-.

Bien loin de ces sombres moments, Josh écouta d’un air amusé les menaces de sa sœur à son encontre. Non seulement d’avoir réagi, elle s’approcha également de lui, d’un air faussement fâché, comme si elle essayait de lui faire peur… Bourreau des cœurs. Il devait admettre qu’il l’était, mais ce n’était pas faute de prévenir les filles avec qui il entretenait une relation occasionnelle. Dès le début, il faisait toujours clairement comprendre qu’il ne fallait rien attendre de lui. Il pouvait passer pour un beau salaud aux yeux de certains, il avait au moins la décence de ne jamais faire de fausses promesses. De toute façon, pourquoi aurait-il voulu s’engager dans une histoire sérieuse et s’enfermer dans la dépendance alors qu’il pouvait s’amuser ? Il ne comprendrait jamais pourquoi certaines personnes essayaient toujours de le faire changer d’avis à tout prix… Puis, sa sœur n’était pas si différente de lui à ce niveau-là. A quand remontait sa dernière relation sérieuse ? Il n’en avait pas le souvenir. Il roula à nouveau des yeux, avant de répondre d’une manière assez sarcastique.

« Et si justement j’avais envie de continuer? Que crois-tu pouvoir me faire ? »

Il sourit de nouveau. Il ne s’agissait sûrement pas de la réponse qu’elle attendait de lui, mais Josh aimait vraiment jouer sur ses nerfs. Et puis, il était bien curieux de voir comment sa jumelle réagirait.

Josh avait beau être impertinent, parfois, un brin arrogant et assez chiant, il n’en disait pas moins toujours ce qu’il pensait. Que cela plaise ou non, le jeune homme était toujours franc ; on ne pouvait pas lui reprocher de ne pas être honnête. Même s’il disait toujours ce qui lui passait par la tête sans y mettre de gants, il ne voyait pas pourquoi il aurait tourné par quatre chemins. Certaines vérités étaient parfois douloureuses à avaler, mais elles permettaient de ne jamais se faire d’illusions. Enfin, dans le cas présent, il n’y avait rien de bien méchant entre sa sœur et lui. Il avait juste envie de l’ennuyer un peu, à défaut de s’occuper ailleurs. Et quand il avait décidé quelque chose, difficile de l’en faire démordre. Mais il avait beau la charrier à longueur de temps, il n’en était pas moins très attaché à elle. Il plongea ses yeux verts dans ceux de sa sœur. La jeune femme renifla presque de dépit, cherchant sans doute le prochain tour qu’elle pourrait lui jouer. Il savait qu’une idée gonflait en elle, silencieuse. Lou n’était pas sa sœur jumelle pour rien, elle ne comptait certainement pas s’arrêter là –pour le plus grand plaisir de son frère d’ailleurs-. S’avouer vaincue ? Jamais ! Après quelques instants de réflexion, elle finit par s’en aller, faisant mine d’abandonner. Croyait-elle le tromper ? Elle se mettait le doigt dans l’œil. Il la connaissait parfois mieux qu’elle-même, pour avoir veillé sur elle depuis la perte de leur mère. Ne la suivant pas, il préféra concentrer son regard sur la télévision, qui était entrain de passer les sujets d’actualité. L’effet de surprise serait d’autant plus inattendu. Elle quitta la pièce et se fit soudainement discrète. Il ne put s’empêcher d’entendre ses pas feutrés, un sourire en coin sur son visage. Soudain, après quelques minutes de silence, l’électricité se coupa tout d’un coup. Tiens, tiens. Miss Johnson aurait-elle trouvé comment le compteur fonctionnait ? Le jeune homme se leva alors, histoire de voir si le remettre en marche était possible. Evidemment, dans la cave pas de lumières. Les lampes de poches n’étaient plus à leur place. Il mit moins de cinq minutes à comprendre ce que Lou avait manigancé. Néanmoins, il y avait toujours un stock de bougies dans la maison qui pourraient lui servir à l’éclairer. Il comptait bien prendre le temps d’arranger le courant, ce qui la laisserait se rendormir. Qu’elle croit qu’il abandonne la partie, en lui laissant quelques minutes de tranquillité. Il remonta de la cave, trouva une boîte d’allumettes dans un tiroir de la cuisine, et alluma une grosse bougie. Il redescendit dans la cave et s’affaira sur la boîte électrique pendant quelques instants. Quand le compteur se relança enfin, il remonta dans le salon à nouveau et coupa toute forme de sons. Sa sœur s’était rendormie à poings fermés. Néanmoins, il n’en avait pas terminé. Elle l’avait troublé dans son sommeil la veille, il ferait (encore) de même. Il alla chercher quelque chose dans la cuisine. Quelque chose qui donnerait envie à Lou de le haïr. Il s’approcha ensuite de sa chambre et en ouvrit subrepticement la porte. D’habitude, la chambre à coucher était la limite intime à ne jamais dépasser –comme le jardin secret de chacun, mais surtout au cas où il pourrait y avoir de mauvaises surprises (a)- mais dans ce cas présent, Josh décida de couper exceptionnellement la tradition. Il entra silencieusement et il entendit la respiration régulière de sa sœur sous les draps. Il s’approcha de son nez et y glissa en dessous ce qu’il avait pris dans la cuisine. Le petit pot de poivre qui lorsqu’elle reniflerait la ferait éternuer bruyamment. L’effet escompté ne tarda pas à arriver. Une quinte de toux allait sûrement la secouer et la réveiller. D’un coup, il se redressa alors hors-de-portée de sa jumelle, et il souleva doucement la couverture, puis la tira d’un coup sec au bout du lit. Non seulement de grelotter, elle allait voir rouge ! Et serait sûrement obligée de réagir… Le jeune homme sourit et lui lança sur un ton innocent « Alors, on dort ? Il est temps de se réveiller… Pour de bon. ». C’est vrai, pour le coup, il n’avait pas été sympa. Et si elle lui en voulait, ce serait de sa faute à lui. Mais il détestait abandonner ou reconnaître ses tords. Il était têtu, et quand il avait une idée en tête, difficile de la lui sortir. Le problème avec Josh était qu’il devait parfois s’arrêter au-delà d’une certaine limite, sous peine d’aller trop loin. Mais aujourd’hui, la partie de leurs jeux incessants restaient encore bonne enfant. C’était le bon côté de leur lien : une relation aventureuse qui promettait des surprises quotidiennes. Ils ne s’ennuyaient jamais ensemble, justement parce qu’ils passaient le plus clair de leur temps à se chamailler. Toutefois, loin de fuir avec la couverture de sa sœur, il ne sortit pas de la chambre de Lou. Il resta sur place un moment, avant d’ajouter plus gentiment –une bonne surprise n’étant pas coutume- « Ton déjeuner est prêt dans la cuisine, et tu ferais bien de venir, parce que j’ai quelque chose à te montrer. ». Déjeuner prêt? Ben oui, Josh pouvait aussi facilement s'attirer la colère de sa soeur que de se faire pardonner. Quelque chose à montrer? Bien sûr et sa curiosité piquée à vif, allait-elle mordre à l’hameçon ? Il l’espérait, parce que l’instant de leurs jeux passés, il était devenu un brin plus sérieux.

Entre eux, une journée normale se résumait toujours ainsi. Ils ne s’ennuyaient jamais ensemble. Les gens de leur entourage, qui les connaissent vraiment, savaient qu’ils entretenaient une relation frère/sœur fusionnelle et que leurs chamailleries n’étaient que l’explication d’une complicité sans limites. D’autres personnes, qui ne les voyaient pas souvent, pouvaient penser au contraire qu’ils se disputaient tout le temps. Ceux-là étaient dans le faux, mais Josh ne parlait jamais de la relation qui le liait à sa sœur. Ce qui se passait entre eux devait le rester, elle était l’une des seules personnes qui comptaient vraiment pour lui et le reconnaître était déjà suffisamment bien pour le jeune homme.

Il finit par entrer dans la chambre de Lou, la sortit du sommeil assez brusquement. Josh observa sa sœur se réveiller en sursaut, dans ses yeux se lisait l’interrogation. Qui osait la troubler dans on sommeil ? Elle comprit rapidement le manège dont elle avait fait l’objet. Elle saisit son peignoir et regardant son frère, la jeune femme lui assura qu’elle se vengerait.

« Je n’en doute pas une seconde, d’ailleurs j’attends ça avec impatience. ». Rétorqua-t-il, satisfait d’entendre qu’ils ne s’arrêteraient pas là.

Toutefois, il sut comment gagner un peu de temps, un peu comme un temps « mort ». Il attisa la curiosité de sa sœur en lui proposant de le suivre dans la cuisine. Il aurait souhaité ne pas troubler cette journée de jeux innocents, mais Lou aurait fini par découvrir ce qu’il comptait lui montrer. La jeune femme venait de sortir d’une cure de désintoxication depuis quelques semaines, et même s’il semblait à Josh qu’elle retrouvait doucement le sourire, il savait qu’elle était encore fragile. Alors qu’il attendit qu’elle veuille bien venir, la jeune femme regarda quelques secondes son reflet dans le miroir. Elle semblait pensive. Finalement, elle se jeta sur le dos de son frère. Le jeune homme laissa échapper un petit soupir. Elle avait toujours fait cela quand ils étaient petits et qu’elle cherchait à se rassurer ou à ennuyer son frère. Néanmoins, il ne la lâchait jamais. Du moins, pas aujourd’hui, après l’avoir réveillée Il sortit de la chambre de Lou et sa sœur se pencha près de son oreille en lui demandant de garder cet esprit d’enfant, sa curiosité éveillée au plus haut point. Le jeune homme ne put s’empêcher de sourire. Arrivé dans la cuisine, il déposa la jeune femme. Il ne jouait pas souvent le garçon attentionné, mais depuis qu’elle était revenue habiter avec lui, il veillait quand même sur elle comme il l’avait toujours fait. Le déjeuner était prêt, mais pourtant il n’avait pas le cœur d’avaler quoique ce soit. Il n’avait toujours rien expliqué à Lou et savait que sa sœur commençait à brûler d’impatience. En fait, ce matin, lorsqu’elle dormait toujours, le jeune homme avait été chercher le courrier qu’ils avaient reçus dans la boîte. Une lettre, d’une enveloppe d’une plus grande qualité que les autres, se cachait parmi les autres papiers. Une écriture, reconnaissable entre toutes… Il avait ouvert l’enveloppe, lut le contenu de la lettre, partagé entre le désir de brûler le papier ou d’attendre le réveil de Lou… Non, ils ne se cachaient jamais rien, elle avait le droit de savoir… Regardant sa sœur droit dans les yeux, le jeune homme lui indiqua la lettre qui trainait sur la table.

« Elle est arrivée ce matin. J’ai voulu m’en débarrasser, mais j’ai pensé que tu préférerais savoir ». Dit-il d’une voix où se glissèrent des nuances d’amertume non feintes.

Leur père, telle une vague d’ombre qui se rabattait sur eux, avait apprit que sa fille allait mieux. Il cherchait à reprendre contact avec eux. Ce père qui les avait abandonnés depuis presque dix ans. En réalité, c’était la seconde fois qu’il essayait de s’immiscer à nouveau dans la vie des jumeaux. La première fois, les jumeaux n’étaient pas encore majeurs, mais avaient refoulé leur paternel avec tant de force qu’ l’homme avait bien vite compris qu’il ne gagnerait rien à les revoir. Mais aujourd’hui, il essayait une nouvelle fois. Josh n’en démordrait pas, il refusait tout contact avec cet homme. Lou était en équilibre précaire. Mais il lui disait tout, et l’avis de sa sœur comptait beaucoup pour lui.

« Pourquoi maintenant, d’après toi ? » Demanda-t-il en la regardant, curieux d’entendre son opinion.

Il se fichait bien de son père, il n’avait pas peur de l’affronter. Ce qu’il craignait était plutôt la raison pour laquelle il voulait revenir dans leur vie maintenant. Endetté ? Il viendrait demander de l’argent à ses enfants. Malade ? il voudrait qu’on s’apitoie sur son sort. Personne ne se découvrait une fibre d’affection du jour au lendemain, quand on avait oublié d’assumer ce rôle toute sa vie.